Direction du symposium consacré aux violences sexuelles féminines en contexte intrafamilial, 8ème Entretiens francophones de la psychologie, Paris, juin 2023"
Si les femmes sont à l’honneur dans notre propos, ce n’est que pour les rappeler à leur triste sort. Violence et soumission sont monnaies courantes, dans toutes les strates sociales, dans toutes les cultures, hier comme aujourd’hui, et ce, aux différents âges de la vie.
Pour introduire, notre propos, je souhaite reprendre les mots d’une femme engagée, Muriel Salmona, autrice du livre noir des violences sexuelles, nouvellement réédité :
« Depuis plus de vingt ans, que ce soit en temps de paix ou de guerre, les viols sont considérés en droit international et européen comme des traitements cruels, inhumains et dégradants, et de plus en plus comme une forme de torture. Ce sont donc des crimes de premier ordre que les États ont la responsabilité et l’obligation de prévenir et de punir, quel qu’en soit l’auteur. »
Discriminatoires et sexistes, les violences ont pour principales victimes, les femmes, imposant un tribut exorbitant à l’humanité. Ce raz-de-marée de crimes conduit, selon l’ONU, à l’effacement de 23 millions de femmes, si nous nous en tenions au sex-ratio.
Que ce soit en institution hospitalière, en milieu associatif, ou dans l’intimité de son cabinet, le psychologue est en première ligne. Votre présence, aujourd’hui, témoigne de cette sensibilité sur ce sujet brûlant des violences sexuelles. Mais ce n’est pas toujours ainsi qu’elle se nomment, y compris par les victimes qui ne se reconnaissent pas comme telles. Romy parle, à cet égard, de rapports sexuels avec son oncle rythmant son enfance et adolescence entre 4 et 19 ans avant de connaitre violences conjugales et conduites sexuelles à risque, se déconnectant d’elle-même pour mieux mettre ce corps à disposition de l’autre. Dans une illusion de victoire, Romy a développé une sexualité défensive, dans l’après-coup des viols incestueux.
Dans cette confusion des langues, l’emprise est confondue avec l’amour, l’excitation mécanique avec le plaisir, la tendresse avec la passion. Ce concept célèbre de Ferenczi a été maladroitement repris pour qualifier de crime passionnel, ce qui n’est autre qu’un féminicide. Elles étaient 109 en 2022 à avoir perdu la vie sous les coups de leur partenaire, conjoint, concubin ou ex. Quand elles échappent à la mort, les survivantes ne sont pas épargnées par l’extrême sévérité des séquelles, notamment sexuelles pour 81% des victimes de viol.
Face à l’injonction de parole, c’est encore trop souvent le silence qui domine dans ce qu’il faut bien appeler la clinique du réel. Comment nommer l’indicible, comment élaborer sur un irreprésentable ? Écoutons un extrait du témoignage d’Adélaïde Bon :
« Elle ne sent pas les méduses s’immiscer en elle ce jour-là. Elle ne sent pas les longs tentacules transparents la pénétrer, elle ne sait pas que leurs filaments vont l’entraîner peu à peu dans une histoire qui n’est pas la sienne, qui ne la concerne pas. Elle ne sait pas qu’ils vont la déporter de sa route, l’attirer vers des profondeurs désertes et inhospitalières, rétrécir année après année, le monde qui l’entoure à une petite poche d’air sans issue. Elle ne sait pas que désormais elle est en guerre et que l’armée ennemie habite en elle. Personne ne la prévient, personne ne lui explique, le monde s’est tu. »
Méduse est aussi l’immortelle, au regard pétrifiant, tel est son supplice pour avoir souillé l’autel d’Athéna par le viol dont elle a pourtant été victime. Dans sa version moderne, résonne la culture du viol puisque ceci n’est pas un mythe. Ce concept, dénonçant un environnement social et médiatique responsable d’une tolérance coupable envers les prédateurs sexuels, est apparu dans les années 1970 sous l’impulsion du mouvement féministe, nouvellement porté par la vague des mouvements #Meetoo en 2017. La culture de l’inceste adaptée de la précédente expression offre l’amorce d’une réponse collective quand nous savons que ce fléau concerne une personne sur dix, en France. Ces violences sexuelles infantiles et incestueuses sont-elles à entendre comme le berceau des violences sexuelles conjugales, comme le berceau d’une domination ?
La temporalité est le maitre mot des communications qui vont suivre, elles s’inscrivent dans un continuum chronologique, en même temps qu’elles témoignent d’une déstructuration temporelle propre à la clinique du traumatique. Est-il utile de rappeler que les temporalités relatives aux appareils judiciaire et psychique ne sont pas compatibles, sans compter qu’ils ne parlent pas le même langage.
Entre injonction et permis de dire, comment ses femmes meurtries peuvent-elles se reconstruire dans une rencontre thérapeutique qui s’attache d’abord à les reconnaitre comme sujet ?
Plus que des réponses, attendons-nous à d’autres questions aiguisant toujours un peu plus notre regard sur cette clinique si délicate des violences faites aux femmes dans un contexte intra familial.