- VOYAGE EN EAUX TROUBLES -
Marjorie LOMBARD, Docteure en Psychologie
Clinicienne au Centre Hospitalier de Roubaix, Unité et Equipe Mobile de Soins Palliatifs
Sexologue membre effectif de la SSUB et Hypnothérapeute
Chargée d'enseignement aux universités de Lille et de Bruxelles
RESUME
Entre valorisation et diabolisation, le plaisir féminin et l’intérêt qu’on lui porte en Occident a de quoi faire rougir, de honte, une société patriarcale peu encline aux confort de ces dames ! Des plaisirs coquins de Cléopâtre usant de son célèbre papyrus remplis d’abeilles, à la théorie séminale prônant la jouissance féminine dans les conditions strictes de la procréation, en passant par les massages de la vulve prescrits aux hystériques, jusqu'à la levée récente de cette longue excision culturelle à la fin du 20ème siècle : de tout temps, la sexualité procréative a côtoyé, mais sans jamais rencontrer, sa jumelle, la sexualité récréative. Amour et sexualité plaisir, un couple récent pour qui, désormais, lubrifier n'est plus une honte, c'est plutôt son absence qui sonne le glas de la condamnation de la femme frigide, sans compter le rôle tenu par le dictât de la performance véhiculé par la pornographie. Les représentations qui, jadis, tenaient abjecte voire coupable toute production sexuelle féminine vont désormais élire comme saint Graal l'éjaculation de la femme fontaine.
INTRODUCTION
Cet article trouve son inspiration dans une enquête menée auprès du tout public (questionnaires cliniques) qui avait pour ambition d’étudier les représentations issues de l’évolution des mœurs en matière de sexualité sur le thème précis des mécanismes de la lubrification et des recours disponibles. Avant de nous plonger dans l’histoire de la sexualité féminine jusqu’à la perception actuelle des comportements sexuels, rappelons un élément essentiel, à savoir que le jeu, propre au fonctionnement de l’enfant, celui-ci participant, par ailleurs, à son développement, tend trop souvent à quitter l’univers adulte, à l’exception cependant du champ de la sexualité. C’est bien l’un des seuls domaines où l’activité ludique est préservée et cela ne nous étonnera pas d’apprendre que relancer la dynamique du désir sexuel dans le couple n’est pas sans compter sur la reprise du jeu. C’est d’ailleurs le premier conseil d’Avicenne, qui sera repris en chœur par les médecins du XVème siècle, à savoir de prendre son temps ! A l’époque, jouer pendant l’acte sexuel avait donc une utilité puisqu’associé à une plus grande jouissance féminine, la rencontre des fluides produisait, selon les théories de l’époque, la fécondation. Cette idée a fait son temps et le jeu a quitté la scène de l’amour avec l’évolution des connaissances scientifiques, au grand dam des amants. A vous de jouer !
- Quelle réponse physiologique féminine se pose comme l’équivalent de l’érection, s’opposant à l’expression masculine du désir de part sa manifestation souvent inconsciente et invisible ?
- Quel artifice se pose comme l’équivalent féminin du viagra ?
Réponse = le LUBRIFIANT / la LUBRIFICATION
Le premier est la solution à l’absence du second. Par ailleurs, autant les conséquences peuvent être dramatiques pour la sexualité de la femme et la santé du couple, autant les solutions actuelles apparaissent accessibles et d’application à moindre coût, dans tous les sens du terme. Moindre coût financier, moindre coût physique quand on pense au bénéfice que ce recours peut apporter à la femme, et plus globalement au couple. La question est alors la suivante : qu’est-ce qui fait obstacle à son usage ? Serait-ce le coût psychologique ou une carence en matière d’éducation sexuelle ? Que penser d’une femme qui ne « mouille » pas ? Jusqu’où se répandent les stéréotypes (idée préconçue : elle ne mouille pas parce qu’elle n’éprouve pas de désir sexuel), en cascade, les préjugés (jugement de valeur : elle doit être frigide, ne pas être un « bon coup ») et les discriminations (comportement : rejet de la partenaire sexuelle) ? Le drame de cet obstacle est qu’il est dépendant de notre action, de notre volonté de soulever cette dysfonction de croyance pour la remplacer par une pensée plus juste et plus adaptée. Nous n’avons pas de contrôle sur nos manifestations physiques, il n’est ainsi pas question de mauvaise volonté. Ce qui est sous contrôle, en revanche, est notre action à partir du constat de la difficulté : comprendre la source de la difficulté et recourir à un lubrifiant. D’ailleurs, l’acte lui-même peut contrarier le stéréotype ! En effet, la femme peut faire preuve de créativité et de sensualité, exprimer son désir par l’utilisation, l’introduction du lubrifiant dans la rencontre sexuelle. Qui plus est, le jeu peut être de la partie et l’application du lubrifiant constituer lui-même un préliminaire ! Au partenaire de s’investir, ce qui n’ira pas pour lui déplaire !
Cet article qui s’étaye et prolonge une étude réalisée dans le cadre du colloque de la Revue Sexualité Humaine consacre sa première partie à la mise en perspective des résultats émergeant de cette enquête réalisée sous la forme de questionnaires féminins (140 femmes) portant sur les conséquences liées à un manque de lubrification dans le cadre des activités sexuelles. Les questionnées disposaient d’un lexique présenté en annexe (définitions relatives à l’activité, le rapport, la stimulation, les fantasmes, le désir et l’excitation sexuels) avant d’indiquer leurs réponses.
Enquête clinique portant sur l’inconfort sexuel féminin, 2019
52 femmes sur 140 interrogées décrivent connaître des problèmes liés à la lubrification sous les qualificatifs de « difficultés liées à la pénétration », « irritation », « brûlures », « contraction du vagin », « picotements », « douleurs » et « sensation de sécheresse vaginale et vulvaire ». Cependant, le recours au lubrifiant n’est mentionné que dans 42% des cas énonçant comme obstacles majeurs les peurs liées à la composition du produit ainsi qu’à sa connotation artificielle proche d’une impression culpabilisant de « simulation », l’acte d’amour rimant avec « naturel » ; la gêne au moment de l’achat ; la crainte d’interrompre l’harmonie de la rencontre sexuelle ; le sentiment d’échec et de trouble, vecteur de honte et de culpabilité ; les sensations désagréables (froid) et l’idée d’une moindre sensibilité à la pénétration ; enfin, la peine supposée chez le partenaire qui se sentirait responsable. Il est à noter que certaines femmes y ont recours bien que lubrifiant suffisamment dans le but de pimenter leur vie sexuelle. Par ailleurs, ce qu’il ressort des représentations relatives aux femmes souffrant d’un manque de lubrification suit cette série d’associations nommant le manque de désir, le trouble sexuel, le caractère iatrogène ou organique dans le cadre de pathologies chroniques, la personnalité responsable d’une mise à distance de la notion de plaisir (frigidité), l’existence d’un traumatisme passé, enfin, la stimulation inefficace et le manque ou l’absence de préliminaire. Notons que cet aspect n’apparaît qu’en dernier lieu dans les représentations des sondées. Enfin, les femmes mentionnent généralement l’existence d’une éducation sexuelle reposant respectivement sur les discussions avec des amies, des lectures, une information délivrée par les parents, par l’école et internet.
Un questionnaire distinct dans les éléments étudiés a également été réalisé à l’attention des hommes hétérosexuels respectant les mêmes conditions notamment en terme de lexique mais le faible taux de participation ne permet une exploitation des résultats que toute relative. Avec la réserve que nous nous devons, les réponses sont les suivantes : sur les 11 participants, 8 d’entre eux ont déjà été confrontés à un manque de lubrification chez leur partenaire féminine. Une première série de questions visent à interroger leurs connaissances en matière de réponse sexuelle féminine à savoir la réponse physiologique à l’excitation (lubrification, chaleur et respiration, gémissements), nom scientifique donné à la lubrification (cyprine), le comportement traduisant l’excitation (mots et gémissements, caresses et fellation), l’étape de la rencontre sexuelle la plus favorable à la montée du désir (les préliminaires), les étapes favorables à la montée de leur désir sexuel (expression du désir et orgasme de la partenaire), les parties du corps les plus sensibles et ainsi responsables de la montée du désir (clitoris et nuque), le moment le plus opportun pour la pénétration (perception de l’excitation et demande explicite), les principales difficultés sexuelles féminines (manque de lubrification, manque de désir et douleurs), les associations autour de la femme « frigide » (absence d’intérêt pour la sexualité, manque de lubrification et de désir, personnalité prude et manque de confiance en soi), les associations autour de la femme souffrant d’un manque de lubrification (absence de désir ou d’amour pour son partenaire, personnalité frigide et exigeante, mauvaise stimulation ou problème physiologique), les explications relatives à cette difficulté (manque de désir ou d’amour pour le partenaire, problème physiologique, stress et trauma), les conséquences perçues dans le manque de lubrification (douleurs, brûleurs et infections, saignements et lésions, perte de désir et rejet de la sexualité), les solutions (lubrifiant, préliminaires, salive) en sachant que 3 des interrogés n’estiment pas nécessaire de renoncer à la pénétration, le reste des interrogés nommant la volonté d’éviter douleur et inconfort, voire un traumatisme à leur partenaire, et de respecter l’absence de désir que cela supposerait.
D’une façon générale, l’absence de lubrification naturelle n’entame pas leur excitation et le recours au lubrifiant reste une majorité (8/11) dans un but de faciliter la pénétration y compris anale, d’éviter les douleurs et de renforcer les sensations ainsi que l’excitation. A noter que les réponses des sondés, qui sont ici indiquées entre parenthèse, suivent l’ordre de la proportion.
BREVE HISTOIRE DE LA SEXUALITE FEMININE
Nous ne serons pas surpris que l’attention portée à la lubrification féminine jouisse de l’influence de l’histoire de la sexualité, en l’occurrence, l’injonction d’une sexualité procréative après que la Préhistoire nous révèle les représentations sexuelles dessinées sous la forme de triangles fendus et de phallus taillés dans la pierre dans le décor de scènes érotiques se dégageant de toute censure morale puisqu’y incluant des animaux. C’est l’époque des hommes en érection et des femmes rondes et enceintes, témoins des tout premiers canons de beauté sous l’égide de la Vénus de Willendorf. La culture dont les racines « habiter, cultiver, honorer » définit l’activité humaine nous ouvre à une lecture et une manière de vivre ce qui nous entoure en s’étayant sur un discours cosmographique (sur le monde).
Entre la science (intérêt porté sur ce qui a été = la cause matérielle permet de comprendre les faits) et la religion (intérêt porté sur ce qui sera = le but final permet de comprendre les faits), la sexualité va ainsi être appréhendée comme étant conditionnée par une suite d’événements relevant du passé, pour la première, alors qu’elle le sera pour favoriser l’union avec Dieu dans l’avenir, pour la seconde. Sous l’influence de ces deux potentielles lectures inspirant le regard de l’Homme sur le monde, la sexualité s’avère culturelle après s’être arrachée à la nature et ainsi donc, à l’instinct. Devenue sociale, la sexualité humaine va connaître une évolution significative avec la sédentarisation et la naissance des biens et propriétés transmises aux générations suivantes. La culture et l’élevage contribueront à la création du couple et du mariage, la femme assurant une lignée légitime. Une catégorisation des femmes, destinées soit à la reproduction d’héritiers soit à la jouissance, voit le jour. Malgré une dominance masculine dans la société de l’époque, la femme reste source d’inspiration à travers la déesse mère, à moindre influence avec les déesses de la fécondité, du plaisir et du mariage qui associent des dieux à leurs côtés.
Mais, dès lors qu’un seul Dieu, masculin, se substitue à la religion polythéiste, la femme s’efface au profit d’une culture patriarcale sous l’égide du mariage, de la paternité et de la répression sexuelle. Elle devient le bien et la propriété de l’homme et son utilité n’est que reproductive. Sous l’Antiquité grecque et romaine, les mots d’ordre sont « chasteté », « fidélité » et « fécondité » pour une catégorie de femmes appelées « matrones » réduites à une sexualité reproductive distincte des femmes « prostituées » à la sexualité récréative. L’épouse au gynécée, l’hétaïre au bras des messieurs et la concubine dans la couche de ces derniers.
Une codification dans les pratiques sexuelles est ainsi relevée laissant apparaître l’opposé dominant / dominé sous l’égide du pénétrant / pénétré. Cette évolution relative à une catégorie de femmes va connaître une extension avec le Catholicisme et le tabou du péché originel faisant de la sexualité plaisir un véritable interdit. Erigeant en modèle féminin, la Vierge Marie, et l’union des cœurs au dépend de celle des corps, la sexualité reproductive dans le cadre strict du mariage demeure la règle absolue. Le mythe d’Eve laisse à la femme, la perception de la faiblesse et de la culpabilité. A cette époque, adultère, sexe vénal, homosexualité et masturbation sont rigoureusement proscrits. Il convient de couvrir les corps là où la nudité du jardin d’Eden est venue révéler l’animalité. Triste couple que cette victime (Adam) et cette coupable (Eve) chassés du paradis.
La sexualité plaisir devient une entrave à la rencontre avec Dieu. En d’autres territoires et d’autres époques, le Dieu de l’Amour (Kâma) et de l’Aphorisme (Sûtra) se réunissent autour du Kâma-Sûtra, manuel de l’amour découpé en sept chapitres et dédié à la vie amoureuse du couple rédigé entre le 6ème et 7ème siècle en Inde. Il faudra attendre le 16ème siècle pour que des illustrations lui soient associées afin de se rendre accessible à l’ensemble de la population (illettrée) et 1963 pour que ce manuel soit autorisé en Angleterre ! Pendant ce temps là, la séduction se révèle être un art que la « Gei » (culture) Sha (personne) incarne à travers la maitrise de la conversation, de la danse, de la musique et du rituel du thé notamment. Le décret de Shogum en 1700 reconnaît cette profession et ces femmes, au code de vie strict, comme libres, l’acte sexuel n’était pas une obligation.
De retour en Occident, l’amour et l’acte sexuel ne font pas bon ménage, l’homme doit respecter sa femme et ainsi ne pas la déranger pour des distractions aussi futiles. Quand la sexualité est pensée par les philosophes, accord conjugal et amour passionnel constituent deux opposés jusqu’à ce que la femme aperçoive son prince charmant arrivé du Nord, sauvée par les Barbares, qui l’aurait cru ? Leur place dans la société aurait radicalement évoluée si un homme était autorisé à aimer une femme et si le but de son existence était de la partager avec celle-ci. Les romanciers et troubadours du 12ème siècles portent en idéal cette représentation nouvelle qui ne trouvera pas encore d’incarnation sociétale. Il faudra attendre quelques siècles avant que l’amour moderne n’octroie aux femmes l’accès au plaisir des sens mais pas toujours avec leurs époux. Cela étant, la mise en avant de l’enfant par l’Eglise, sorte d’écran virtuel entre l’homme et la femme contribue à l’entretien d’une distance charnelle. La science et l’Eglise se tiennent toujours la main au 20ème siècle, le mariage d’amour reste une hérésie quand le sentiment amoureux est perçu comme une maladie mentale pour la première et comme une perte de temps entamant la foi, pour la seconde. Cependant, le temps de vie de la théorie séminale aura constitué, pour les femmes, un répit dans leur sexualité. En effet, si le plaisir masculin se pose comme un mal incontournable devant l’évidence de la production de sperme conditionnée par l’orgasme, celui de la femme pose question dans le rôle joué dans la fécondation. Hippocrate et Galien soutiendront l’hypothèse de la production d’une semence féminine au moment de l’orgasme, celle-ci s’avérant indispensable pour la formation d’un embryon. C’est alors, qu’un nom de la procréation, le plaisir féminin devient une priorité, facilitée par le « ludus », autrement dit, le jeu, ancêtre de nos préliminaires.
L’intérêt porté au clitoris est ainsi « procréation dépendante » jusqu’à la « terrible » découverte du rôle de l’ovule produit par le cycle menstruel en 1880. C’est la chute de la théorie séminale sonnant le glas de l’excision culturelle dans le tout 20ème siècle. Les connaissances relatives à la fonction érogène du clitoris, représentation complète à l’appui dès 1558, tomberont aux oubliettes, et cette « excroissance » inutile ira jusqu’à disparaître des manuels. Ni vu, ni connu, la sexualité de la femme sera réduite à celle de l’homme avec une discrimination d’orgasmes : vaginal pour les femmes accomplies et clitoridien pour les femmes immatures. Cette sexualité phallo centrée va contribuer à l’étiquetage de quantité de femmes dites hystériques dont le seul traitement pour libérer la « bête » (utérus endiablé) appartient aux médecins stimulant l’organe à une époque où la masturbation reste proscrite, la science tenant la main à l’Eglise au moment de l’invention du microscope et de l’avancée des théories relative à la composition du sperme. Les pires maladies pouvaient naitre de l’usage trop soutenue de la masturbation, là où la stimulation apparaît comme le traitement des femmes dites frigides et frustrées. Tant que la sexualité de la femme se soutient d’un plaisir à la pénétration par la voix d’une stimulation uniquement vaginale, l’absence de jouissance reste la sentence dans une société patriarcale.
L’invention du vibromasseur dans ce contexte de la maladie mentale pourrait presque réduire les ardeurs ! Il faudra attendre la fin du 20ème siècle pour enfin rendre ses lettres de noblesse au clitoris et avec lui, une avancée inestimable concernant le fonctionnement sexuel.
LES FLUIDES FEMININS
De son origine latine « rendre glissant », la lubrification féminine constitue un liquide émis par différentes glandes et pores dont la responsabilité dans le confort et plaisir sexuel s’avère essentiel. Or, s’il est habituel d’entendre parler de lubrification comme enjeu majeur de la bonne santé du couple vagin / pénis, il est tout autant urgent d’élargir les préoccupations trop souvent réduites à l’assemblage du fourreau (étymologie de vagin) et de la tige (étymologie de pénis). En effet, si le pénis a longtemps été perçu comme complément au vagin, il est à noté que sa stimulation n’est pas la clé de la jouissance féminine puisque la clé, c’est le clitoris, si nous nous contentons de recourir à l’étymologie de ce dernier.
La lubrification rend donc glissant le pénis dont les mouvements à l’intérieur du vagin ont si longtemps réduit le rapport sexuel. La pénétration deviendra une étape parmi d’autres avec les apports de Master et Johnson dans les années 1950 définissant la courbe de la réponse sexuelle au rythme de quatre phases, à savoir, l’excitation où apparaissent les modifications corporelles (dilatation des vaisseaux, expansion vaginale et lubrification) ; le plateau où le seuil de ces modifications atteint son maximum (congestion péri vaginale) ; l’orgasme représentant l’acmé du plaisir et susceptible de se produire plusieurs fois au cours d’un même rapport sexuel (contraction des muscles péri vaginaux) et la résolution avec la disparition de l’excitation (détumescence). Seules les réponses féminines ont ici été rapportées afin de les mettre en lien avec le sujet de notre étude. Ainsi, l’excitation sexuelle de la femme peut suivre le chemin suivant avec, en amont, la production de glaires cervicales, plus ou moins abondantes en fonction du cycle. Egalement appelées « pertes blanches » assurant la fertilité de la femme, elles sont produites par les glandes du col de l’utérus assurant ainsi un nettoyage régulier par l’expulsion des sécrétions. Le début de l’excitation se traduit par le gonflement des petites et grandes lèvres du fait du sang circulant en plus grande abondance dans les tissus érectiles donnant son aspect charnu et coloré à l’entrée du vagin alors qu’à l’intérieur, les parois gonflent et s’allongent à l’excitation, tout à fait comme le pénis au moment de l’érection, symptomatique de l’excitation : le vagin transpire !
L’afflux de sang dans les parois vaginales est à l’origine de la composition d’un fluide après que le plasma sanguin ait été filtré, facilitant ainsi le rapport sexuel. Ce même flux sanguin poursuit sa route jusqu’à clitoris, responsable de son érection. Arrive ensuite, la dilatation des pores de la paroi vaginale, responsable de la transsudation par les vaisseaux sanguins de la muqueuse ainsi que du vagin, facilitant l’accueil du pénis. Enfin, la sécrétion des glandes de Bartholin produisant une lubrification externe, la cyprine. C’est l’ensemble de ces éléments qui constitue la lubrification féminine et non la seule production de cyprine, tel que le voudrait la légende. Ce qui est aussi décrit comme un « nectar » pousse la jouissance buccale jusqu’à la création originale par deux polonais en 2016 de « the order of yoni », première bière au monde élaborée à partir de cyprine prélevée sur deux mannequins.
Il s’agit, par ailleurs, d’un phénomène tardif dont la composition regroupe eau, bactéries, urée, acides ascétiques et lactiques, complexes d’alcool et de glycols. De son étymologie « île de Vénus » ou « déesse de l’Amour » plus subtile que sa traduction en langage familier (la mouille), la cyprine ne tient sa connotation sexuelle que récemment (1977) où elle apparait dans l’ouvrage « Le corps lesbien » sous la métaphore d’une crème. La cyprine prendra place en 1985 dans le dictionnaire érotique et en 1990 dans le Petit Robert sous la définition de « sécrétion vaginale et signe physique du désir sexuel ». Ses bienfaits sont nombreux justifiant ainsi l’attention déployée dans le cadre de la santé sexuelle des femmes alors même que la connotation négative (frigidité) du manque de lubrification constitue un obstacle à l’évolution des pratiques. Avec de tels biais cognitifs, de tels stéréotypes (défaut de lubrification = absence de désir sexuel) et préjugés (défaut de lubrification = femme frigide), ces femmes souffrant d’un manque de lubrification sont bien loin de répondre aux clichés de la performance sexuelle, soutenus par le monde audiovisuel de la pornographie. Comme si un rapport sexuel, pour être parfait, ne devait nécessiter d’aucune adaptation.
Le postulat d’une sexualité qui ne serait pas naturellement parfaite suppose que des complications peuvent surgir dans la rencontre sexuelle, à différents niveaux, que ce soit en amont (désir), aux préludes (préliminaires), au cours (pénétration) ou au crépuscule (orgasme) de celle-ci. Identifier la difficulté permet aussi d’éviter que des complications surgissent par effet de ricochet sur les autres étapes de la rencontre sexuelle. En effet, les bienfaits d’une lubrification optimale sont nombreux, citons la stabilisation du PH et l’auto nettoyage du vagin par la glaire cervicale, le signal donné au désir par le transsudat de la paroi vaginal et la sécrétion de la Cyprine par les glandes de Bartholin assurant un confort à la pénétration et favorisant le déplacement et la remontée des spermatozoïdes dans le vagin dans le cadre de la procréation.
Cependant, la lubrification est variable dans l’existence d’une femme, sous l’influence de facteurs hormonaux (ménopause, grossesse et allaitement) susceptibles d’être traités par la prescription d’œstrogènes ; génétiques ; médicamenteux (effets indésirables en cause dans le manque d’humidité des muqueuses) ; psychologiques (absence de désir, stress) dont l’approche corporelle, méditative, psychologique ou sexologique peut s’avérait utile et comportementaux (alcool, cigarette, produits intimes agressifs pour la flore vaginale) en appelant à l’éducation en matière de santé sexuelle.
Ces facteurs sont responsables d’une sécheresse vaginale, terme à la connotation de perte, de manque, d’absence sous entendu de désir dans les représentations collectives, ce qui n’est pourtant pas toujours le cas. En effet, il existe parfois un véritable fossé entre le ressenti d’excitation sexuelle et son expression physique. Ainsi, lorsque la femme souffre d’un manque de lubrification, des conséquences en cascades sont susceptibles d’advenir. Alors, pour que cet inconfort ne vire pas en douleurs au cours de la pénétration (appelées dyspareunies d’intromission) ou même pendant tout l’acte de la pénétration allant, à l’extrême, jusqu’à provoquer un réflexe de contraction extrême du vagin (vaginisme), en perte de désir (Désir sexuel hypoactif), prenons notre vagin en main, si je puis dire. A chaque lubrifiant, ses avantages et inconvénients ici résumés.
LUBRIFIANTS |
AVANTAGES |
INCONVENIENTS |
A base d’EAU |
Les plus pratiques ! Bonne tolérance et compatibles avec les sex-toys et préservatifs sans l’inconfort des tâches ou de l’effet collant |
Soluble dans l’eau et pouvoir lubrifiant modéré d’où la nécessité de répéter l’application en cours d’utilisation |
A base de SILICONE |
Les plus lubrifiants ! Résistants à l’eau et maintien de la lubrification |
Goût désagréable voire toxique, laisse des tâches et incompatibles avec les sex-toys et préservatifs en silicone |
A base d’HUILE |
Les plus adaptés aux hommes ! Rapports anaux et masturbation |
Risque d’infection vaginale et incompatibilité totale avec les préservatifs (risque de déchirure) |
Composition BIO |
Apaisement et hydratation |
Anticipation dans la composition du produit si « fait maison » |
SALIVE |
Gratuit et toujours disponible ! |
Herpès génital transmis par la bouche et faible pouvoir lubrifiant qui devra être renouvelée |
PAILLETTES |
Faire des étincelles sous la couette! |
Dommageable pour le PH de la flore vaginale et risque d’infection |
Lombard – Figure 1 : A chaque lubrifiant, ses avantages et inconvénients
CONCLUSION
Secours ou allié sexuel ? Le lubrifiant apparait de plus en plus comme un support érotique davantage que traitement palliatif. Ce dernier envisagerait le recours au lubrifiant en terme de « secours » à la sexualité du couple soit dans le cadre de la prévention (contextes défavorables à la lubrification : premières fois, conséquence de traitements ou maladies, perte de libido, détresse psychologique, etc.) soit dans celui de la réparation après qu’un manque de lubrification soit avéré et source de conséquences physiques (lésions, irritations, etc.).
Un tel recours au lubrifiant « palliatif » préserverait ainsi le désir en assurant un confort minimal et en évitant par la même occasion toute punition positive (extinction d’un comportement par l’ajout d’un élément désagréable = refus de la sexualité du fait des douleurs) ou négative (extinction d’un comportement par le retrait d’un élément agréable = refus de la sexualité du fait de la disparition du plaisir).
Préserver le plaisir, diminuer ou éviter les dyspareunies, favoriser le traitement du vaginisme, la lubrification artificielle est ici à entendre comme secours sexuel. Pour autant, elle pourrait être appréhendée à l’instar d’un allié sexuel dans une visée érotique alors même qu’un trouble ne lui sera préexistant. Le lubrifiant serait-il plus qu’un ersatz de la lubrification ? De l’application « punitive » dans le cadre du lubrifiant palliatif, elle apparaît ici comme un renforcement positive avec l’ajout d’un artifice suggérant une application ludique qui impliquerait le partenaire visant à accentuer les sensations du couple et ainsi pimenter leur vie intime.